Newsletter Fondation Léon Fredericq - SEPTEMBRE 2022

Newsletter 04 - SEPTEMBRE 2022

Actualité

Nature publie les découvertes de Sylvain Delaunay sur le cancer de la bouche

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Bien que peu répandu, le cancer oral est souvent déniché par les dentistes à un stade déjà avancé, ce qui le rend particulièrement tueur. Mais n’y aurait-il pas un moyen de le juguler en l’empêchant de former des métastases ? Notre ancien lauréat Sylvain Delaunay est déjà sur la piste d’un futur traitement, avec des découvertes applicables en clinique qui lui ont valu une belle place dans la prestigieuse revue Nature.

« Si l’on parvient à comprendre comment le cancer passe de bénin à malin, c’est-à-dire pourquoi les cellules cancéreuses vont à un moment donné migrer pour coloniser d’autres organes, alors on peut peut-être empêcher cette transformation ! », lance le Dr Sylvain Delaunay. Parti de cette intuition, il a entrepris d’étudier l’évolution des cellules cancéreuses dans le cancer oral (qui peut affecter les différentes zones de la bouche ou de la gorge telles que la langue, le palais, les lèvres, les amygdales ou encore les glandes salivaires). Car comme pour tous les autres cancers, les chances de survie diminuent drastiquement dès lors qu’apparaissent des métastases. « Mais tant qu’il reste localisé, le cancer peut être soigné par la chirurgie. Ce qui double les chances de survie du patient dans le cas du cancer de la bouche ! », remarque le chercheur. Pour lui, l’enjeu est alors « d’empêcher la dissémination des cellules cancéreuses pour faciliter la chirurgie de résection de la tumeur ».

Sans NSUN3, pas de migration possible des cellules cancéreuses 

Son doctorat au GIGA - ULiège, pour lequel il avait déjà reçu deux bourses de la FLF, avait d’abord amené Sylvain Delaunay à étudier le cancer du sein. Parti ensuite pour un post-doctorat à Cambridge il y a cinq ans avec une bourse de voyage de la Fondation, il a réorienté ses recherches sur le cancer oral. Cependant le Brexit l’a poussé à suivre sa superviseuse jusqu’à la ville universitaire d’Heidelberg, où il poursuit aujourd’hui ses travaux au sein du Centre allemand de recherche contre le cancer (DKFZ). Un centre qu’il voit comme « une grosse structure, avec plus de 3.000 personnes qui y travaillent sur le cancer ».

Au cours de ces cinq années, Sylvain a affiné ses observations sur la migration des cellules cancéreuses, qu’il décrit en ces mots simples : « Lorsque les cellules cancéreuses deviennent malignes, elles ont besoin d’un grand apport d’énergie pour se disséminer. La molécule qui fournit cette énergie (l’ATP ou Adénosine TriPhosphate, sorte de « carburant » énergétique de nos cellules) est essentiellement produite dans ce qu’on appelle la mitochondrie, une machinerie comparable à une centrale nucléaire. Lorsque les cellules cancéreuses « switchent » et décident de devenir malignes, un signal est envoyé à la mitochondrie pour qu’elle produise davantage d’ATP, donc davantage d’énergie, pour nourrir les besoins de la migration. Or on s’est rendu compte qu’en supprimant un enzyme particulier (NSUN3) au sein de la mitochondrie, on réduit ses capacités de production d’ATP, si bien que les cellules ne parviennent pas à se disséminer car elles n’ont pas l’énergie nécessaire pour le faire ! ». En théorie donc, un traitement qui ciblerait NSUN3 dans le contexte d’un cancer oral devrait l’empêcher de produire des métastases…

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L'oeil du Pharmacien

Le jeune chercheur ne s’est cependant pas contenté de cette première découverte et a voulu se lancer un pas plus loin, sur la piste d’un traitement possible. Avec une idée derrière la tête : utiliser un médicament existant pour une nouvelle application, tout comme on utilise aujourd’hui l’aspirine pour fluidifier le sang et réduire les risques d’AVC. Il explique : « La mitochondrie est en réalité un lointain descendant de la bactérie, il y a des millions d’années. Même si elle s’est transformée au cours de l’évolution, elle conserve toujours un certain nombre de points communs avec la bactérie ». Sylvain a alors testé des médicaments antibactériens (antibiotiques) sur des tumeurs orales agressives pour diminuer la production d’ATP au sein de la mitochondrie, et obtenu des résultats spectaculaires : « Avec de la doxycycline, la production de métastases réduit de 80 % en quelques semaines dans un modèle préclinique », s’enthousiasme le chercheur.

80 % de métastases en moins grâce à un antibiotique !

Comment l’idée lui est venue ? Sa formation d’origine en Sciences pharmaceutiques y est certainement pour quelque chose. Il estime pour sa part que son Master initial à l’ULiège « est une vraie plus-value et m’apporte une vision de pharmacien un peu différente des autres chercheurs dans le domaine, habituellement biologistes ou médecins ».

Des applications cliniques d'ici dix ans ?

La force des travaux de Sylvain vient en partie de leur applicabilité en clinique : non seulement ses découvertes éclairent le fonctionnement des cancers agressifs, mais elles fournissent aussi de nouveaux outils aux cliniciens : « Si tout fonctionne bien nous pourrons envisager des études cliniques avant dix ans », estime-t-il. Il lui aura fallu en tout cinq années de recherches dont un an et demi de révisions pour voir ses résultats publiés dans Nature. « Au départ je n’y croyais pas trop… Nature, c’est une belle reconnaissance pour un scientifique ! ». Expatrié depuis la fin de son doctorat à Liège, il confie « à quel point il est précieux et encourageant de recevoir l’appui d’une Fondation de ma région d’origine, qui a continué de croire en moi ».

Actualité

Un mécanisme inédit de communication entre les cellules du cerveau révélé dans Science !

Si la recherche fondamentale précède en général de très loin la recherche clinique, il arrive que ses résultats intéressent directement notre compréhension des maladies. C’est précisément ce qui est arrivé à l’équipe du Laboratoire de Régulation Moléculaire de la Neurogenèse (GIGA-ULiège) du Pr. Laurent Nguyen. Les chercheurs viennent en effet de faire une découverte captivante en étudiant le déplacement des cellules neurales dans le cortex, lors de la phase de développement du cerveau. À tel point qu’ils ont vu leurs résultats publiés dans la prestigieuse revue américaine Science , dans laquelle ils ne manquent pas de remercier chaleureusement la FLF et ses donateurs.

Equipe Nguyen

La migration des neurones à la loupe

Entamée il y a environ cinq ans dans le cadre du doctorat de Fanny Lepiemme, l’étude liégeoise ambitionnait d’observer les mécanismes qui régissent la mise en place des neurones dans le cortex cérébral durant les premières semaines de la vie. Le cortex « est la partie extérieure du cerveau, dont dépendent les facultés cognitives et analytiques de l’être humain », explique Laurent Nguyen. Et de poursuivre : « Il faut savoir que le cortex est en grande partie formé de cellules neurales qui naissent à distance de la future structure, dans d’autres régions du cerveau. Ces cellules vont ensuite se déplacer jusqu’à atteindre le cortex et s’y installer pour former les circuits fonctionnels ». C’est cette migration cellulaire que les chercheurs ont tenté d’observer. Ils se sont penchés sur deux types de cellules (les interneurones, c’est-à-dire des futurs neurones ; et les progéniteurs d’oligodendrocytes dont certains produisent la myéline, sorte de gaine protectrice des neurones) « qui ont cette particularité de naître au même endroit et de migrer en même temps vers le cortex ». Jusqu’ici, on pensait qu’une partie des progéniteurs d’oligodendrocytes nés dans la partie ventrale du cerveau ne servait pas à grand-chose, car la plupart d’entre eux meurent peu après la naissance et ne contribuent donc pas à la myélinisation des neurones. « Or nous nous sommes rendus compte que lorsqu’on les éliminait, les autres cellules (les interneurones) ne migraient plus correctement vers le cortex et s’agglutinaient sur les vaisseaux sanguins. Mais à l’inverse, supprimer les interneurones n’avait aucun impact sur la migration des progéniteurs ! ». Les chercheurs ont ensuite compris que les progéniteurs d’oligodendrocytes ventraux remplissent une fonction essentielle sur leur trajet de migration : celle de guider les interneurones vers le cortex en les empêchant de s’agréger aux vaisseaux. 

De nombreuses maladies sont liées à des défauts de migration cellulaire

Depuis longtemps on sait que les cellules de l’organisme sont capables de dialoguer entre elles, de s’échanger des informations, de s’attirer ou de se repousser mutuellement. « Mais ce qu’on a observé ici était inconnu jusqu’alors », s’enthousiasme Laurent Nguyen : en étudiant la formation du cortex, l’équipe a mis au jour « un nouveau mode d’interaction entre deux types de cellules, selon un mécanisme de répulsion unidirectionnelle ». Autrement dit, les cellules A (les progéniteurs d’oligodendrocytes) repoussent les cellules B (les interneurones corticaux), mais non l’inverse ! Pour le directeur de labo, il s’agit d’une découverte importante « car les défauts de mise en place des interneurones peuvent causer des maladies neurodéveloppementales telles que l’épilepsie, l’autisme ou encore la schizophrénie ».

Les résultats de cette recherche liégeoise permettront sans doute de mieux appréhender ces maladies, mais aussi de poser une foule de questions nouvelles dans le cadre de toutes les pathologies « liées à une migration anormale de cellules qui se mettent à coloniser d’autres zones », telles que les cancers métastatiques. 

Quand la sauce prend entre juniors et seniors

Pour un scientifique, voir ses recherches s’étaler dans les pages de Science est un fameux motif de fierté. « Mais il faut aussi un peu de chance », avance modestement Laurent Nguyen, « et dans notre cas, c’est surtout le fruit du travail d’une équipe très soudée au sein du labo, où les jeunes chercheurs sont épaulés par les plus anciens ». La jeune doctorante Fanny Lepiemme a ainsi consacré 100 % de son temps au projet « sous la supervision de Carla G. Silva, notre post-doctorante senior, et de moi-même. Mais elle a aussi reçu l’aide précieuse de deux post-doctorantes, Julie Stoufflet et Míriam Javier-Torrent, et de mon collègue Gabriel Mazuchieli, qui ont réalisé les analyses cellulaires et moléculaires ».

Entre l’équipe de Laurent Nguyen et la FLF, « c’est une longue histoire ! », confie le Directeur de Recherches. « La Fondation n’a pas seulement fourni des crédits de fonctionnement pour cette étude-ci : à vrai dire, nous recevons des fonds régulièrement depuis la création du labo en 2007, qui nous ont permis de développer de nouveaux modèles pour la recherche… et de publier dans de grandes revues ! ».

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